jeudi 17 mai 2012

*** A Slight Case of Murder / Un Meurtre sans Importance (1938) de Lloyd Bacon


A la fin des années 30, le film de gangsters renait et s’ouvre à des variations comiques dont les plus célèbres sont peut-être The Amazing Doctor Clitterhouse et son cousin A Slight Case of Murder, deux productions Warner avec en vedette Edward G. Robinson. Parmi les autres films de cette veine réjouissante, citons Little Giant (1933, Roy del Ruth) et Larceny Inc. (1942, Lloyd Bacon).

A Slight Case of Murder adapte une pièce de Howard Lindsay et Damon Runyon[1], un auteur si célèbre qu’un adjectif a été créé, « runyonesque » qui renvoie au monde de Broadway, fourmillant d’escrocs et de gangsters, dépeint par Runyon.[2] Le film débute avec la fin de la Prohibition : Remy Marko, le roi de la bière, décide alors de se lancer dans le commerce légal d’alcool. Finis les costumes à rayures, finies les fusillades et les bagarres ! Mais un parrain puissant ne fait pas nécessairement un bon gestionnaire et Marko frôle vite la banqueroute et doit trouver au plus vite des fonds pour contenter ses créanciers. Le temps d’un week-end à la campagne, le sort de son entreprise va se jouer.

A Slight Case of Murder, comme The Amazing Doctor Clitterhouse, prend les atours d’une fantaisie : ici, il n’y a pas d’amants dans les placards mais des cadavres et les filles ne veulent pas présenter leurs fiancés à leur père non pas parce qu’ils sont des vauriens mais parce qu’ils sont policiers ! Mais A Slight Case of Murder n’est pas une simple pièce de boulevard : derrière le rire, le film livre un commentaire très critique sur la société américaine de son époque. Slight Case of Murder s’intéresse au parallèle entre capitalisme et gangstérisme, un rapprochement souvent fait par les exégètes de gauche.[3]

Le film se plait à souligner le choc des classes sociales. D’un côté, il montre les prétentions de respectabilités de Marko et de son épouse qui veulent « être de la haute », se donnent des airs raffinés alors même qu’ils jurent à toutes les phrases et que leurs intérieurs sont décorés comme des appartements de nouveaux riches. De l’autre, A Slight Case of Murder moque également la bonne société américaine, étouffant dans le snobisme, incarnée par la future belle-famille de Robinson. Mais surtout, les vrais vilains sont les banquiers qui cherchent à tout prix à mettre la main sur l’entreprise de Marko et de ses gangsters plus bêtes que méchants.

A Slight Case of Murder dit donc que la mobilité sociale n’est qu’une illusion et que l’argent ne garantit pas une place au sommet de la société américaine. La satire, féroce, trouve de précieux alliés dans des acteurs tous excellents, emmenés par un Edward G. Robinson très à l’aise dans une parodie de son personnage du Petit César. Autour de lui, les seconds rôles suscitent l’hilarité, notamment Allen Jenkins, Edward Brophy et Harold Huber, sans oublier Bobby Jordan, un des Dead End Kids[4], en délinquant juvénile casse-pied. Avec ses truands embourgeoisés qui ne font pas illusion dans le salon et, réunis dans la cuisine, se laissent aller à la nostalgie du « milieu », le délectable A Slight Case of Murder donne parfois l’impression d’être dans une version américaine des Tontons flingueurs.

   05.03.12


[1] Il semblerait toutefois que la pièce ait été un échec.
[2] Parmi les autres films tires de l’oeuvre de Damon Runyon, citons Lady for a Day (1933, Frank Capra), Little Miss Marker (1934, Alexander Hall), Guys and Dolls (1955, Joseph L. Mankiewicz), Pockeful of Miracles (1961, Frank Capra).
[3] Prenons pour exemple Success At Any Price (1934) de J. Walter Ruben. Dans ce film tiré d’une pièce de John Howard Lawson, le personnage principal choisissait de faire carrière dans la publicité et non dans le trafic d’alcool comme son frère : il y gagnerait plus d’argent et y préserverait sa vie…
[4] Et un futur East Side Kid et Bowery Boy.

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