En deux films (Thank you
for Smoking et Juno), Jason
Reitman s’est imposé comme un nom majeur du jeune cinéma américain. Avec In the Air et Young Adult, deux fausses comédies mais deux films vraiment amers,
le trentenaire peint l’Amérique de ce début de XXIe siècle en proie au malaise.
Il dresse le bilan sans concession d’une société malade à travers le portrait
de deux antihéros dont les traits de caractères et les parcours présentent de
trop nombreux points communs pour analyser les films séparément.
Ryan Bingham, le consultant en licenciements de In the Air, et Mavis Gary, l’écrivaine
dans Young Adult, mènent une vie qui
pourrait faire rêver certains de leurs contemporains. Ryan vire des gens à
longueur de journée mais jouit d’un emploi qu’on imagine bien rémunéré qui lui
permet de voyager sans cesse. Son objectif secret, dont il mesure avec saveur
la vanité, est d’atteindre le million de miles ! Ce beau gosse semble très
heureux de cette indépendance absolue, passant sa vie en l’air et donnant même ici
et là des conférences sur la nécessité de se libérer du poids des contraintes
sociales, amicales et familiales. Dans Young
Adult, encore jeune et jolie, Mavis Gary est une de ces filles américaines
à qui tout semblait devoir sourire à la sortie du lycée. Alors que ses amis
d’antan sont restés dans ce trou du Minnesota où elle a grandi et sont devenus
des petits employés, Mavis a quitté la bourgade et est l’auteure d’une série de
romans à succès pour « adulescents ».
Mais Jason Reitman montre sans détour le vide de l’existence de
ses protagonistes et le fait qu’il ait choisi des stars de la renommée et du
talent de George Clooney (In the Air)
ou de Charlize Theron (Young Adult) pour
les interpréter ne l’empêche pas de ne
rien cacher du pathétique de Ryan et Mavis. Dans la société de In the Air et de Young Adult, les liens amicaux et familiaux sont distendus, Ryan et
Mavis, des êtres esseulés, vivent dans des appartements sans âme. Dans l’incipit
silencieux mais éloquent de Young Adult,
Reitman sait dire toute la tristesse et la répétition qui accablent la vie de
Mavis à Minneapolis. Alcoolique, solitaire, Mavis inspire plus de pitié que de
rire. Ryan parait d’abord insupportable, gagne notre sympathie quand il prend
soin de sa fragile collègue Natalie mais c’est un personnage au cynisme
constamment dérangeant.
Dans In the Air
et Young Adult, le téléphone, les mails fonctionnent comme des contacts
illusoires avec le monde extérieur : les nouvelles technologies servent à
renouer ou entretenir le dialogue avec un copain ou une copine, voire de le
terminer dans le cas de Natalie ; elles permettent aux héros de recevoir
des nouvelles (un mariage, dans In the
Air ; une naissance dans Young Adult)
qui vont jouer un rôle décisif dans le film. In the Air va plus loin encore dans cette
thématique en se concentrant sur la crise économique et ses conséquences
inévitables, des licenciements nombreux, qui amènent la société qui emploie
Ryan à rationnaliser les coûts en organisant les entretiens par internet.
Reitman signifie ainsi l’inhumanité du
capitalisme moderne et livre un témoignage touchant de la crise économique.
Les deux films prennent la forme d’un récit d’apprentissage. La
référence de Young Adult, avouée au
détour du dialogue, c’est bien sûr celle du Lauréat,
matrice de tout le nouveau cinéma qui fleurit aux Etats-Unis. Mais, au
contraire de Mike Nichols, Jason Reitman conte des histoires destructrices,
cruelles, et invite le spectateur à assister à la destruction des illusions
amoureuses de Ryan et Mavis. Dans In the
Air, Ryan s’éprend d’une businesswoman rencontrée par hasard et essaie en
vain de faire d’une affaire d’un soir la femme de sa vie. Dans Young Adult, Mavis s’est enfermée dans
ses rêves de gamines et ne veut pas voir la réalité. Mais elle a fini par
croire aux boniments qu’elle écrit : malheureuse, elle se persuade qu’elle
est passée à côté de l’amour, elle se met en tête d’aller reconquérir Buddy,
son ancien petit copain, mari heureux et jeune père.
Au terme du film, Mavis et Ryan échoueront. Plus qu’à une conquête
(In the Air) ou à une reconquête (Young Adult) romantique, c’est une véritable
course au naufrage qui tourne même, dans le cas de Young Adult, au suicide social, lors d’une éprouvante scène finale
où Mavis, éméchée, laisse éclater sa névrose. Un retour sur les lieux de son
enfance (et de son lycée, dans le deux films), des retrouvailles avec la
famille et une cérémonie (un mariage dans In
the Air, un baptême dans Young Adult)
tiennent lieu de révélateur des insatisfactions profondes des personnages et de
leurs aspirations. Si Mavis grandira peut-être au prix d’un douloureux
« coming of age », Ryan semble, lui, destiné à rester solitaire : l’on
sent qu’il ne se reprendra plus à croire dans la force des sentiments, il a
trop souffert. En définitive, les personnages de Reitman se retrouvent
probablement plus décidés à compter sur eux-mêmes, moins enclins à se reposer
sur les autres mais aussi et surtout plus renfermés et plus amers.
Au cours du film, les protagonistes n’auront trouvé pas trouvé l’âmes
sœur, si ce n’est, pour Ryan, la complicité d’une jeune femme fragile, Natalie,
et, pour Mavis, l’union avec un éclopé, seul personnage aussi monstrueux
qu’elle qui soit en mesure de l’accepter. Subtil, Reitman ne signe donc pas des
comédies légères mais s’interroge sur la solitude, sur le déracinement. Il
propose une radiographie au vitriol qui prend pour arrière-plan une Amérique de
malls sordides et de bars glauques, d’hôtels impersonnels et d’aéroports froids.
On sort d’In the Air ou de Young Adult plus déprimé plus que ravi.
07.05.12
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