jeudi 17 mai 2012

Deux films de Jason Reitman : In the Air (2009) et Young Adult (2012)



En deux films (Thank you for Smoking et Juno), Jason Reitman s’est imposé comme un nom majeur du jeune cinéma américain. Avec In the Air et Young Adult, deux fausses comédies mais deux films vraiment amers, le trentenaire peint l’Amérique de ce début de XXIe siècle en proie au malaise. Il dresse le bilan sans concession d’une société malade à travers le portrait de deux antihéros dont les traits de caractères et les parcours présentent de trop nombreux points communs pour analyser les films séparément.

Ryan Bingham, le consultant en licenciements de In the Air, et Mavis Gary, l’écrivaine dans Young Adult, mènent une vie qui pourrait faire rêver certains de leurs contemporains. Ryan vire des gens à longueur de journée mais jouit d’un emploi qu’on imagine bien rémunéré qui lui permet de voyager sans cesse. Son objectif secret, dont il mesure avec saveur la vanité, est d’atteindre le million de miles ! Ce beau gosse semble très heureux de cette indépendance absolue, passant sa vie en l’air et donnant même ici et là des conférences sur la nécessité de se libérer du poids des contraintes sociales, amicales et familiales. Dans Young Adult, encore jeune et jolie, Mavis Gary est une de ces filles américaines à qui tout semblait devoir sourire à la sortie du lycée. Alors que ses amis d’antan sont restés dans ce trou du Minnesota où elle a grandi et sont devenus des petits employés, Mavis a quitté la bourgade et est l’auteure d’une série de romans à succès pour « adulescents ».
                                                                                  
Mais Jason Reitman montre sans détour le vide de l’existence de ses protagonistes et le fait qu’il ait choisi des stars de la renommée et du talent de George Clooney (In the Air) ou de Charlize Theron (Young Adult) pour les interpréter ne l’empêche pas  de ne rien cacher du pathétique de Ryan et Mavis. Dans la société de In the Air et de Young Adult, les liens amicaux et familiaux sont distendus, Ryan et Mavis, des êtres esseulés, vivent dans des appartements sans âme. Dans l’incipit silencieux mais éloquent de Young Adult, Reitman sait dire toute la tristesse et la répétition qui accablent la vie de Mavis à Minneapolis. Alcoolique, solitaire, Mavis inspire plus de pitié que de rire. Ryan parait d’abord insupportable, gagne notre sympathie quand il prend soin de sa fragile collègue Natalie mais c’est un personnage au cynisme constamment dérangeant.

Dans In the Air et Young Adult, le téléphone, les mails fonctionnent comme des contacts illusoires avec le monde extérieur : les nouvelles technologies servent à renouer ou entretenir le dialogue avec un copain ou une copine, voire de le terminer dans le cas de Natalie ; elles permettent aux héros de recevoir des nouvelles (un mariage, dans In the Air ; une naissance dans Young Adult) qui vont jouer un rôle décisif dans le film. In the Air va plus loin encore dans cette thématique en se concentrant sur la crise économique et ses conséquences inévitables, des licenciements nombreux, qui amènent la société qui emploie Ryan à rationnaliser les coûts en organisant les entretiens par internet. Reitman signifie ainsi  l’inhumanité du capitalisme moderne et livre un témoignage touchant de la crise économique.

Les deux films prennent la forme d’un récit d’apprentissage. La référence de Young Adult, avouée au détour du dialogue, c’est bien sûr celle du Lauréat, matrice de tout le nouveau cinéma qui fleurit aux Etats-Unis. Mais, au contraire de Mike Nichols, Jason Reitman conte des histoires destructrices, cruelles, et invite le spectateur à assister à la destruction des illusions amoureuses de Ryan et Mavis. Dans In the Air, Ryan s’éprend d’une businesswoman rencontrée par hasard et essaie en vain de faire d’une affaire d’un soir la femme de sa vie. Dans Young Adult, Mavis s’est enfermée dans ses rêves de gamines et ne veut pas voir la réalité. Mais elle a fini par croire aux boniments qu’elle écrit : malheureuse, elle se persuade qu’elle est passée à côté de l’amour, elle se met en tête d’aller reconquérir Buddy, son ancien petit copain, mari heureux et jeune père.

Au terme du film, Mavis et Ryan échoueront. Plus qu’à une conquête (In the Air) ou à une reconquête (Young Adult) romantique, c’est une véritable course au naufrage qui tourne même, dans le cas de Young Adult, au suicide social, lors d’une éprouvante scène finale où Mavis, éméchée, laisse éclater sa névrose. Un retour sur les lieux de son enfance (et de son lycée, dans le deux films), des retrouvailles avec la famille et une cérémonie (un mariage dans In the Air, un baptême dans Young Adult) tiennent lieu de révélateur des insatisfactions profondes des personnages et de leurs aspirations. Si Mavis grandira peut-être au prix d’un douloureux « coming of age », Ryan semble, lui, destiné à rester solitaire : l’on sent qu’il ne se reprendra plus à croire dans la force des sentiments, il a trop souffert. En définitive, les personnages de Reitman se retrouvent probablement plus décidés à compter sur eux-mêmes, moins enclins à se reposer sur les autres mais aussi et surtout plus renfermés et plus amers.

Au cours du film, les protagonistes n’auront trouvé pas trouvé l’âmes sœur, si ce n’est, pour Ryan, la complicité d’une jeune femme fragile, Natalie, et, pour Mavis, l’union avec un éclopé, seul personnage aussi monstrueux qu’elle qui soit en mesure de l’accepter. Subtil, Reitman ne signe donc pas des comédies légères mais s’interroge sur la solitude, sur le déracinement. Il propose une radiographie au vitriol qui prend pour arrière-plan une Amérique de malls sordides et de bars glauques, d’hôtels impersonnels et d’aéroports froids. On sort d’In the Air ou de Young Adult plus déprimé plus que ravi.

07.05.12

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