Le cinéma dit du « Nouvel
Hollywood » n’a été que partiellement étudié et de nombreuses œuvres,
souvent des premiers films sans lendemain, n’ont pas été revues. Une
programmation dédiée à Jack Nicholson à la Filmothèque du
Quartier Latin nous ainsi permis de découvrir Cinq Pièces Faciles et Vas-y,
Fonce.
En termes de production, ces
films sont emblématiques du Nouvel Hollywood : il s’agit de deux fruits de
la firme indépendante BBS, distribués par la Columbia et tournes par des
réalisateurs inexpérimentés (c’est le second film de Rafelson, le premier de
Nicholson
),
pour des petits budgets (aux alentours d’un million de dollars). Par ailleurs,
les deux films réunissent quelques uns des noms-phares du Nouvel Hollywood, à
commencer par Jack Nicholson, vedette de
Cinq
Pièces Faciles et réalisateur de
Vas-y,
Fonce. On retrouve aussi au casting des deux films Karen Black, actrice
essentielle du mouvement, trop méconnue et très talentueuse (elle joue ici des
rôles assez opposés). Notons aussi que figurent au générique des deux films de
Vas-y, Fonce Robert Towne et Henry
Jaglom
.
Cinq Pièces Faciles et
Vas-y,
Fonce épousent l’air du temps. Les deux films disent le malaise de la
jeunesse à travers la recherche de soi d’un jeune homme : Robert Eroica
Dupea (Jack Nicholson), dans
Cinq Pièces
Faciles, a la trentaine mais il est encore un débutant dans l’existence
;
Hector (William Tepper), dans
Vas-y,
Fonce, termine ses études dans une université dont il défend les couleurs
au sein de l’équipe de basketball. Entre Robert, dans la vie active, et Hector,
toujours étudiant, il y a en filigrane le diplômé Benjamin Braddock, du
Lauréat, ce personnage matriciel de
toute une partie du cinéma des années 70. Et, comme Benjamin, Robert et Hector
ne savent pas où ils vont. Les personnages hésitent entre plusieurs projets de
vie et ne se reconnaissent pas dans les différents choix qui s’offrent eux.
Les films, satiriques par
essence, avec ce que cela implique d’outrances, opposent deux
caricatures : celle de la société bourgeoise et celle de la contestation.
Rafelson et Nicholson ridiculisent la bourgeoisie. Dans Cinq Pièces Faciles, la toute
bergmanienne famille Dupea, se compose exclusivement d’artistes névrosés qui
vivent isolés du monde. Les handicaps physiques dont souffrent les Dupea sont
le reflet de leur inadaptation à la vie moderne. Dans Vas-y, Fonce, Richard, le professeur n’est qu’un lâche (il ne
veut pas aborder les sujets qui fâchent avec Hector) et un homosexuel refoulé
(il laisse son épouse coucher avec Hector pour garder le basketteur auprès de
lui). Olive, sa femme, semble enfermée dans une existence inutile, ennuyeuse,
errant dans les supermarchés avec les autres femmes de professeurs.
La contestation n’est pas non
plus épargnée par Rafelson et Nicholson. Celle-ci est reléguée à l’arrière-plan
dans Cinq Pièces Faciles mais occupe
une place centrale dans Vas-y, Fonce et
ce dès les premières séquences où un commando de militants perturbe un match de
basket et rejouent notamment la célèbre photo de l’exécution du militant
vietcong. Les autostoppeuses de Cinq
Pièces Faciles passent pour des cinglées : elles rabâchent les mêmes
obsessions et mettent en garde sans fin contre la saleté du monde. Dans Vas-y, Fonce, le militant junkie Gabriel,
archange de la révolution, finit par libérer, nu, les animaux du laboratoire de
biologie du campus. Cette dérisoire opération de libération, vient conclure
l’itinéraire d’un prophète perpétuellement défoncé qui tient du cas
psychiatrique.
La méchanceté de ces portraits
vient rappeler que le Nouvel Hollywood, loin d’être en accord avec les
mouvements contestataires des années 60 qui le précèdent, critique les excès
des hippies tout en invitant le spectateur à se réjouir de leur fronde contre
une société conformiste. Ainsi, le Gabriel de Vas-y, Fonce, amuse le spectateur quand il sème le désordre dans un
camp de recrutement de l’armée mais, en définitive, le film le fait passer pour
un illuminé. En somme, le nouveau cinéma américain des années 60-70 reprend à
son compte les ambiguïtés et le sens du compromis du cinéma hollywoodien,
oscillant entre un progressisme de bon ton et un conservatisme malgré tout.
Que reste-t-il comme choix
valable pour les héros de
Cinq Pièces
Faciles et
Vas-y, Fonce ?
Une femme (Catherine, dans
Cinq Pièces
Faciles ; Olive dans
Vas-y,
Fonce) leur apparait un instant comme la garantie d’un apaisement, comme la
condition d’un épanouissement mais elle se refusera à suivre le héros. En
définitive, les personnages, véritables « insurgés du cadre »
,
semblent opter pour la fuite, une issue que les films ne présentent pas comme
une réelle résolution des conflits intérieurs.
Cinq Pièces Faciles et
Vas-y,
Fonce mettent donc en œuvre des dramaturgies en crise. En effet, le trajet
des personnages a été insignifiant et le film les laisse à peu près à l’endroit
où ils les avaient trouvés : Robert reprend la route tandis que Hector
reste seul sur le campus.
Cinq Pièces Faciles et Vas-y,
Fonce, photographiés avec des éclairages naturalistes, véhiculent le
sentiment, jusqu’alors inédit dans le cinéma américain, d’être face à la
réalité. Bowling alleys, terrains de baskets, shopping malls, restaurants
d’autoroutes sont les nouveaux décors, bien réels, de ces films qui se
prétendent ancrés dans la vie. En fait, il s’agit de véritables films de
cinéma, écrits bien plus qu’improvisés : Cinq Pièces Faciles se base sur l’expérience de Rafelson,
transcendée par l’excellente scénariste Carole Eastman (The Shooting et Puzzle of a
Downfall Child) ; Vas-y, Fonce
est tiré d’un roman d’un Jeremy Larner, futur lauréat de l’oscar du meilleur
scénario pour The Candidate (1972).
Mais la structure des films semble ouverte à tous les possibles et le jeu des
comédiens privilégie une illusion de spontanéité. Cinq Pièces Faciles incarne peut-être le mieux cette double
liberté : le film prend ainsi successivement la forme d’un drame
prolétaire, d’un road-movie et d’une tragédie familiale ; par ailleurs,
des séquences d’anthologie, comme celles dans l’embouteillage ou celle dans le
restaurant d’autoroutes, permettent au très naturel Nicholson de laisser libre
cours à son aisance, à ses facilités.
Cinq Pièces Faciles et Vas-y,
Fonce présentent donc de nombreux traits communs. Cinq Pièces Faciles s’avère plus subtil, filant d’un point de vue
musical l’opposition entres les deux univers du héros (la bande originale
propose aussi bien du Tammy Wynette que du Frédéric Chopin) et complexifiant
l’opposition bourgeoisie/contestation d’une exploration de la condition
ouvrière. Le film de Rafelson fut un grand succès, à la fois public et critique
(il rafla quatre nominations aux Oscars dont Meilleur film) ; Vas-y, Fonce rencontra l’échec.
07.03.12.