Si je n’étais pas rentré un soir
dans un certain bar praguois, je n’aurais pas fait une des rencontres
cinématographiques les plus étonnantes qu’il m’ait été donné de vivre. En
effet, passait à la télévision de ce débit de boisson l’étrange Adèle n’a pas encore diné dont les
images m’ont aussitôt ravi. Les œuvres du cinéaste tchèque Oldrich Lipsky sont
presque totalement inconnues en dehors de son pays, si l’on excepte Limonade Joe (1964) qui a connu une
certaine distribution internationale, et Adèle
n’a pas encore diné serait un de ses meilleurs films.
Adèle n’a pas encore diné s’aventure aux frontières du policier et
du fantastique. Dans le Prague du début du XXème siècle, Lipsky met en scène les aventures du héros populaire
Nick Carter, le « plus célèbre détective d’Amérique », en lutte
contre son ennemi juré, le Jardinier. Celui-ci a orchestré sa vengeance
autour d’Adèle, une plante carnivore qu’il entend bien nourrir avec le corps de
Nick Carter.
Derrière le film se dessine en
filigrane un propos satirique : animé par un sens de supériorité aussi
indémontable qu’injustifié, Nick Carter vient, dans la continuité du cow-boy de
fantaisie Limonade Joe, incarner la bêtise américaine tandis que son adjoint,
l’inspecteur Ledvina, s’avère une caricature de tchèque, obsédé par la bière et
la charcuterie.
Métamorphoses en série, séquences
en dessin animé et course-poursuites en accéléré marquent ce film constamment
inventif qui s’amuse des gadgets en tous genres utilisés par les
protagonistes : fusils à lunette et combinaisons volantes font partie de
la panoplie de Nick Carter et se posent en symboles d’une science-fiction
charmante dont le futur se conjuguerait désormais au passé.
En somme, Adèle n’a pas encore diné ne ressemble à aucun autre film, si ce
n’est peut-être, pour le motif de la plante carnivore, à La Petite Boutique des Horreurs (1960) de Roger Corman. Le film
d’Oldrich Lipsky réussit l’exploit de renouer avec la féérie des premiers temps
du cinéma tout en faisant montre d’une distance ironique très moderne.
04.05.12.
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