Hollywood a
toujours aimé les films exotiques, qui sentent bons le sable chaud, exsudent
les fantasmes orientalistes et transpirent la propagande impérialiste. Les
années 30 ont vu l’Amérique rêver de ces Empires coloniaux qu’elle n’avait pas,
endosser le fardeau de l’homme blanc qu’elle ne portait pas. Quatre Plumes Blanches (1929, Schoedsack
et Cooper), The Black Watch (1929,
Ford), La Patrouille perdue (1934,
Ford), Les Trois Lanciers du Bengale
(1935, Hathaway), Clive of India
(1935, Boleslawski), La Charge de la Brigade Légère (1936,
Curtiz), Wee Willie Winkie (1937,
Ford), Four Men and a Prayer (1938,
Ford), Gunga Din (1939, Stevens)
prennent ainsi pour toile de fond l’Empire britannique.[1]
Les films mettant
en scène la légion étrangère représentent une variante française de cette veine
mais ils jouent sur le même imaginaire chevaleresque, agrémenté d’une affection
toute romantique pour les forçats de la gloire, pour les parias héroïques.
C’est dans la littérature populaire, et en particulier avec des romans comme Under Two Flags (1867) de Ouida ou Beau Geste (1924) de P. C. Wren, que se
crée d’abord le mythe de la légion étrangère. Le cinéma s’empare vite, dès le
muet, de ce motif de la légion : Under
Two Flags est adapté en 1916 avec Theda Bara[2]
tandis que Tod Browning en signe en 1922 une autre version. En 1926, la Paramount rencontre un
franc succès en adaptant Beau Geste,
avec Ronald Colman, Neil Hamilton et Ralph Forbes, sous la direction d’Herbert
Brenon. Deux suites sortiront : Beau
Sabreur (1928), réalisé par John Waters, avec Gary Cooper, et Beau Ideal (1931), réalisé par Herbert
Brenon, avec Ralph Forbes.
Le sous-genre se
poursuit dans les années 30, au point où Laurel Hardy peuvent, en 1931 (Beau Hunks) et 1939 (The Flying Deuces), se livrer à de réjouissantes
parodies.[3]
Même des compagnies de Poverty Row s’attaquent alors au mythe de la
légion : en 1933, un serial, The
Three Muskeeters, prend pour cadre la légion tandis que la Monogram propose en 1937 The Legion of the Missing Men, avec
Ralph Forbes. Les major companies ne sont pas en reste : la Fox sort en 1936 une nouvelle
version de Under Two Flags, avec Ronald
Colman et Victor McLaglen, sous la direction de Frank Lloyd ; la Paramount entreprend elle
en 1939 une nouvelle version de Beau
Geste. C’est William Wellman, metteur en scène chevronné, qui réalise le
film, construit autour d’un casting de premier ordre.
Gary Cooper,
alors au sommet de sa gloire, endosse le képi de Beau Geste. Il avait déjà rejoint la légion dans Beau Sabreur et dans Morocco (1931, Sternberg) et il
connaissait bien Wellman, qui l’avait fait débuter, lui donnant un petit rôle
dans Wings (1927) avant de le diriger
en vedette dans The Legion of the
Condemned (1928), aujourd’hui perdu. Ray Milland et Preston Foster campent
les deux autres frères Geste tandis que Brian Donlevy joue les sergents
sadiques. Susan Hayward campe la promise
de John Geste que ce film d’hommes relègue à une apparition au prologue et à la
conclusion. Après tout, Beau Geste
s’ouvre par un pseudo-proverbe arabe qui exalte l’union fraternelle.
Le film
s’apparente donc à la définition d’un film réussi selon Howard Hawks :
« une histoire d’amour entre hommes ». Le script, un classique écrit
par Robert Carson, qui avait déjà scénarisé trois films de Wellman A Star is Born (1937), Men With Wings (1938) et The Light That Failed (1939), ménage des
moments magnifiques que la mise en scène transcende. Ainsi, on retiendra la
découverte du fort, vide, avec les cadavres aux créneaux ; les rires
forcés des assiégés après le premier assaut ; et, surtout, la mort de
Robert Preston, avec la caméra, oblique, qui suit la course éperdue de Ray Milland
et le corps de son frère qui roule.
Malheureusement,
dans Beau Geste comme souvent dans le
cinéma hollywoodien, tout se joue naïvement dans l’enfance, située dans une
Angleterre de studio. [4]
Cette séquence vaut pour une répétition générale de la vie adulte. Elle
explicite les aspirations héroïques des Geste et préfigure leur mort. Car Beau
Geste (noter le jeu de mots) se pose en véritable chevalier des sables, prêt à
tout sacrifier au nom de ce qui lui parait être son devoir : il endosse la
culpabilité d’un vol qu’il n’a pas commis, il meurt sous un drapeau qui n’est
pas le sien.
Gros succès pour
la Paramount, Beau Geste reste dans
les mémoires comme un des chefs d’œuvres du cinéma d’aventures exotiques
hollywoodien.
06.03.12
[1] The Real Glory
(1939, Hathaway) serait une variation étonnante sur les thèmes du cinéma
colonial : le film, produit par Goldwyn, a pour cœur une expédition
américaine contre des rebelles philippins. Jean-Loup Bourget, dans La Norme et la Marge (Armand Colin,
2005), soutient que le genre connait la naturalisation, l’américanisation et
« est transposé à peu près tel quel
dans un cadre westernien », notamment dans les films de cavalerie de
Ford, le sergent irlandais joué par Victor McLaglen se substituant au
sous-officier de l’Armée des Indes (pp. 173-175). Bourget recommande la lecture
de Visions of Yesterday (1973,
Routledge & Kegan Paul) de Jeffrey Richards.
[2]
Ce film, probablement le premier film de légion, est considéré comme perdu.
[3] Dans ce registre parodique, noter le cartoon Little Beau Pépé (1952).
[4] Notons que c’est Donald O’Connor qui joue Geste enfant.
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