jeudi 17 mai 2012

*** Beau Geste (1939) de William Wellman


Hollywood a toujours aimé les films exotiques, qui sentent bons le sable chaud, exsudent les fantasmes orientalistes et transpirent la propagande impérialiste. Les années 30 ont vu l’Amérique rêver de ces Empires coloniaux qu’elle n’avait pas, endosser le fardeau de l’homme blanc qu’elle ne portait pas. Quatre Plumes Blanches (1929, Schoedsack et Cooper), The Black Watch (1929, Ford), La Patrouille perdue (1934, Ford), Les Trois Lanciers du Bengale (1935, Hathaway), Clive of India (1935, Boleslawski), La Charge de la Brigade Légère (1936, Curtiz), Wee Willie Winkie (1937, Ford), Four Men and a Prayer (1938, Ford), Gunga Din (1939, Stevens) prennent ainsi pour toile de fond l’Empire britannique.[1]

Les films mettant en scène la légion étrangère représentent une variante française de cette veine mais ils jouent sur le même imaginaire chevaleresque, agrémenté d’une affection toute romantique pour les forçats de la gloire, pour les parias héroïques. C’est dans la littérature populaire, et en particulier avec des romans comme Under Two Flags (1867) de Ouida ou Beau Geste (1924) de P. C. Wren, que se crée d’abord le mythe de la légion étrangère. Le cinéma s’empare vite, dès le muet, de ce motif de la légion : Under Two Flags est adapté en 1916 avec Theda Bara[2] tandis que Tod Browning en signe en 1922 une autre version. En 1926, la Paramount rencontre un franc succès en adaptant Beau Geste, avec Ronald Colman, Neil Hamilton et Ralph Forbes, sous la direction d’Herbert Brenon. Deux suites sortiront : Beau Sabreur (1928), réalisé par John Waters, avec Gary Cooper, et Beau Ideal (1931), réalisé par Herbert Brenon, avec Ralph Forbes.

Le sous-genre se poursuit dans les années 30, au point où Laurel Hardy peuvent, en 1931 (Beau Hunks) et 1939 (The Flying Deuces), se livrer à de réjouissantes parodies.[3] Même des compagnies de Poverty Row s’attaquent alors au mythe de la légion : en 1933, un serial, The Three Muskeeters, prend pour cadre la légion tandis que la Monogram propose en 1937 The Legion of the Missing Men, avec Ralph Forbes. Les major companies ne sont pas en reste : la Fox sort en 1936 une nouvelle version de Under Two Flags, avec Ronald Colman et Victor McLaglen, sous la direction de Frank Lloyd ; la Paramount entreprend elle en 1939 une nouvelle version de Beau Geste. C’est William Wellman, metteur en scène chevronné, qui réalise le film, construit autour d’un casting de premier ordre.

Gary Cooper, alors au sommet de sa gloire, endosse le képi de Beau Geste. Il avait déjà rejoint la légion dans Beau Sabreur et dans Morocco (1931, Sternberg) et il connaissait bien Wellman, qui l’avait fait débuter, lui donnant un petit rôle dans Wings (1927) avant de le diriger en vedette dans The Legion of the Condemned (1928), aujourd’hui perdu. Ray Milland et Preston Foster campent les deux autres frères Geste tandis que Brian Donlevy joue les sergents sadiques. Susan Hayward campe  la promise de John Geste que ce film d’hommes relègue à une apparition au prologue et à la conclusion. Après tout, Beau Geste s’ouvre par un pseudo-proverbe arabe qui exalte l’union fraternelle.

Le film s’apparente donc à la définition d’un film réussi selon Howard Hawks : « une histoire d’amour entre hommes ». Le script, un classique écrit par Robert Carson, qui avait déjà scénarisé trois films de Wellman A Star is Born (1937), Men With Wings (1938) et The Light That Failed (1939), ménage des moments magnifiques que la mise en scène transcende. Ainsi, on retiendra la découverte du fort, vide, avec les cadavres aux créneaux ; les rires forcés des assiégés après le premier assaut ; et, surtout, la mort de Robert Preston, avec la caméra, oblique, qui suit la course éperdue de Ray Milland et le corps de son frère qui roule.

Malheureusement, dans Beau Geste comme souvent dans le cinéma hollywoodien, tout se joue naïvement dans l’enfance, située dans une Angleterre de studio. [4] Cette séquence vaut pour une répétition générale de la vie adulte. Elle explicite les aspirations héroïques des Geste et préfigure leur mort. Car Beau Geste (noter le jeu de mots) se pose en véritable chevalier des sables, prêt à tout sacrifier au nom de ce qui lui parait être son devoir : il endosse la culpabilité d’un vol qu’il n’a pas commis, il meurt sous un drapeau qui n’est pas le sien.

Gros succès pour la Paramount, Beau Geste reste dans les mémoires comme un des chefs d’œuvres du cinéma d’aventures exotiques hollywoodien.

06.03.12



[1] The Real Glory (1939, Hathaway) serait une variation étonnante sur les thèmes du cinéma colonial : le film, produit par Goldwyn, a pour cœur une expédition américaine contre des rebelles philippins. Jean-Loup Bourget, dans La Norme et la Marge (Armand Colin, 2005), soutient que le genre connait la naturalisation, l’américanisation et « est transposé à peu près tel quel dans un cadre westernien », notamment dans les films de cavalerie de Ford, le sergent irlandais joué par Victor McLaglen se substituant au sous-officier de l’Armée des Indes (pp. 173-175). Bourget recommande la lecture de Visions of Yesterday (1973, Routledge & Kegan Paul) de Jeffrey Richards.
[2] Ce film, probablement le premier film de légion, est considéré comme perdu.
[3] Dans ce registre parodique, noter le cartoon Little Beau Pépé (1952).
[4] Notons que c’est Donald O’Connor qui joue Geste enfant.

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