L’exposition consacrée à Jean-Léon Gérôme a été l’occasion pour le musée d’Orsay d’organiser une programmation cinéma dédiée au péplum, genre dont la peinture de Gérôme a défini la sémantique. Les projections, dans le bel auditorium du musée ou, exceptionnellement, dans la nef de la gare, ont permis de revenir sur un corpus dont le public ne connait souvent que les classiques hollywoodiens (Ben-Hur et Quo Vadis) et leurs succédanés italiens des années 60 (les Hercule et les Maciste). Les deux films que nous avons pu voir, Le Signe de la Croix et Les Derniers Jours de Pompéi, illustrent quelques unes des singularités et certains des paradoxes de la production antiquisante à Hollywood.
Le Signe de la Croix marque le retour de Cecil B. DeMille à la Paramount, une compagnie qu’il avait contribué à établir dans les années 10 et qu’il ne quitterait plus. Le budget de 650 000 dollars alloué à DeMille est modeste en comparaison aux productions monumentales qui feront par la suite sa gloire et Le Signe de la Croix ne frappe pas vraiment pour son gigantisme mais pour le grand écart qu’il effectue entre ferveur et putasserie. En effet, dans ce film tourné avant l’instauration du code Hays, DeMille exalte les valeurs religieuses par un récit proche de Quo Vadis qui conte le martyr des chrétiens dans la Rome antique. Mais il se complait aussi et surtout dans le spectacle des vices d’une société décadente : Charles Laughton compose un Néron chichiteux, Claudette Colbert prend des bains dans du lait d’ânesse tandis que les orgies s’achèvent en danses saphiques. Mais ce sont les dernières séquences, au cirque, qui constituent le clou du film : dans un délire sadomasochiste, l’arène se remplit d’amazones décapitant ou embrochant des pygmées tandis que des femmes nues sont livrées à des gorilles, des lions ou des crocodiles. Ces moments, impensables dans le système des studios qui allait s’instaurer, et le contraste qu’ils offrent avec le prêchi-prêcha saint-sulpicien font la saveur de ce film.
Les Derniers Jours de Pompéi fut tourné trois ans plus tard à la RKO par les auteurs de King Kong et des Chasses du Comte Zarroff. L’intrigue n’entretient qu’un rapport très lointain avec le roman du même titre de Bulwer Lytton mais elle constitue la principale surprise du film. En effet, l’histoire de Marcus , forgeron ruiné qui devient gladiateur puis fait fortune dans l’organisation des jeux du cirque est l’occasion d’une inattendue dénonciation du capitalisme. Avec Les Derniers Jours de Pompéi, le cinéma utilise le masque de l’Antiquité pour mieux parler de son temps. La morale, c’est que la course au profit et l’appât du gain ne suffisent pas donner un sens à une vie, comme finira par le comprendre le héros qui trouvera une rédemption, bien entendu, dans le Christ. Là encore, le scénario louche vers une œuvre de référence : ici, il s’agit de Ben-Hur qui partage avec ces Derniers Jours de Pompéi une mise en scène de la Passion ainsi que le parti-pris de refuser de représenter Jésus. Mais c’est moins dans ses passages bibliques que dans ses dernières scènes que le film trouve son apothéose. La séquence de l’explosion du Vésuve orchestrée par le maitre hollywoodien des effets spéciaux Willis O’Brien voit la destruction apocalyptique de vastes décors et impressionne encore. Néanmoins, Les Derniers Jours de Pompéi, en apparence plus sage que Le Signe de la Croix mais en vérité plus contestataire, fut un échec commercial et ne rapporta qu’une partie de son budget d’un million de dollars.
Le Signe de la Croix et Les Derniers Jours de Pompéi, deux films si différents alors même qu’ils appartiennent à la même décennie, témoignent de la richesse du péplum, genre sous-étudié et peu estimé.
08.02.11