mardi 28 décembre 2010

**** Jingi no Hakaba / Le Cimetière de la Morale (1974) de Kinji Fukasaku




Voilà ce qui constitue probablement un jalon dans l’histoire du film de yakuza, si ce n’est la pierre tombale du genre. Alors que, au milieu des années 70, le yakuza-eiga décline, Fukasaku, qui a contribué à faire évoluer avec le décisif passage à un cinéma documenté et contemporain (le jitsuroku), l’achève avec Le Cimetière de la Morale, film à la limite du soutenable.

En reprenant la figure classique du yakuza errant, Fukasaku la pervertit pour le démythifier complètement. Tatsuya Watari qui, justement fut Le Vagabond de Tokyo (1966) dans le célèbre film de Seijun Suzuki, [1] prête ses traits à Ishikawa, gangster individualiste et autodestructeur  dont le film suit la trajectoire dans le Japon de l’après-guerre.

Ishikawa est un fou sans attache, un drogué. Il n’a aucun respect pour son clan qui finira par l’exclure. Il semble obéir à une logique mystérieuse, à un instinct primitif qui n’a rien à voir avec le code de l’honneur. Incontrôlable, il en devient pathétique et le spectateur finit par souhaiter sa disparition que Fukasaku fait tarder. Rarement caractère aura été aussi peu sympathique, aussi peu attrayant. 

Ici, exit le conflit entre giri et ninjo, entre obéissance et humanité et le cœur du film n’est pas une guerre des gangs, au contraire de Combat sans Code d’Honneur (1973), mais seulement un individu en lutte avec lui-même, en proie à ses propres démons. Le yakuza n’est pas, comme dans Guerre des Gangs à Okinawa (1971), un chevalier suicidaire qui rejette son époque mais juste un pauvre type.

Comme toujours chez Fukasaku, le film est d’une bestialité inouïe (le héros finit, en signe de repentance, par manger en public les os de sa compagne défunte et les tueries se comptent par dizaines) et le style est réaliste à l’extrême, ce qui n’exclut pas des touches de poésie, comme le motif du ballon dans les séquences finales.

Le Cimetière de la Morale pourrait être comparé à Sanjuro de Kurosawa : dans les deux cas, les cinéastes corrigent leur propos pour mettre à bas les ambiguïtés à l’égard de la violence, les complaisances à l’égard du crime qui avaient pu habiter leurs œuvres précédentes. Preuve de la célébrité de cette œuvre radicale, Le Cimetière de la Morale fut refait en 2002 par Takashi Miike.

15.11.10


[1] Il sera un an plus tard la vedette de Yakuza no Hakaba / Yakuza Graveyard (1976), plus conventionnelle variation sur le thème de la corruption proche du polar américain que nous avions vue aux Etats-Unis.

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